Projet d'établir une communication entre l'Angleterre et Tombouctou

Nouvelles annales des voyages 02 (1819)

 

pp.224-226

Projet d'établir une communication entre l'Angleterre et Tombouctou

 

Les grands avantages que peuvent procurer des relations commerciales directes en l'Europe et Tombouctou n'ont pas échappé aux Anglois. Toutes leurs tentatives pour acquérir des notions certaines sur l'intérieur de l'Afrique, ou pour y pénétrer, ont ce grand objet pour but. Parmi plusieurs plans qui ont été proposés, il en est un dont plusieurs journaux ont donné connoissance, et que nous croyons digne de fixer l'attention de nos compatriotes.

L'auteur de ce projet pense qu'il convient de former une compagnie d'Afrique sur le modèle de la compagnie des Indes. Elle seroit, dit-il, plus utile que celle-ci au commerce de notre pays; les Indous n'ont besoin d'aucune production de notre industrie; les Africains, au contraire, les recherchent, parce qu'elles leur sont nécéssaires, et les payent fort cher.

Selon le rapport d'un auteur (1) qui a donné d'excellents détails sur Tombouctou et les pays voisins, une pièce de platille y vaut 50 piastres ou 20 mizam d'or, dont chacun équivaut à 2,1/2 piastres. -Une pièce de toile d'Irlande ordinaire de 25 aunes vaut 75 piastres; un quintal de sucre en pains, 100 piastres.

On sait avec quelle économie les Arabes voyagent dans le désert: le transport de Fez à Tombouctou est de quarante shillings par quintal, quoique la distance entre ces deux villes soit de 1500 milles; par conséquent, un quintal de sucre en pains, transporté de Londres à Tombouctou, revient à 6liv. sterl. le quintal.

 

Sucre raffiné acheté à Londres et rendu à bord 70 s.

Droit d'entrée à Tetouan ou dans tout autre

port de l'empire de Maroc, 10 pour cent...

7 s.
Fret, etc., 5 pour cent.................................. 3,6 s.
Transport par terre à Tombouctou 40 s.
T. sh.
120,6 s.

 

Or, si le sucre en pain qui revient à 120sh.6d. le quintal rendu à Tombouctou s'y vent 100 piastres ou 4sh.6d. chaque pain, il y a un bénéfice de 270 pour cent net.

Le gain que l'on fait sur les marchandises de prix et moins pesantes, telles que les toiles, etc., est encore plus considérable, parce qu'elles ne sont pas sujettes à des droits si forts ni à un transport si dispendieux. L'immense quantité d'or en barres et de poudre d'or que l'on rapporteroit de Tombouctou, d'Ouangara et de Gana, en échange de nos marchandises, seroit incalculable, et pourtant les Européens n'y ont peut-être jamais pensé.

Comme, en suivant la route que l'on vient d'indiquer, les marchandises passent par les territoires de rois nègres toujours en guerre les uns avec les autres, il faudroit mieux songer à faire parvenir les marchandises à Tombouctou par une partie du désert plus commode et moins sujette aux inconvéniens. La côte du Sahara est plus rapprochées de cette dernière ville; mais les personnes qui ont fait le commerce de la gomme à Porteudik représentent les habitants du Sahara comme une race d'hommes grossiers, farouches, intraitables, et incapable d'être civilisés par le commerce ou par tout autre moyen; On peut croire néanmoins que si des Européens qui entendroient leur langue établissoient un comptoir sur leurs côtes, et faisoient bien connoître les avantages que leur procuroient un commerce tel que celui dont il vient d'être question, et dont ils effectueroient les transports, leur férocité céderoit au sentiment de l'hospitalité, vertus qu'ils exercent d'une manière si admirable. Alors lalliance qu'ils formeroient seroit inviolable. la personne qui a proposé ce plan l'a formé sur la base de l'expérience personnelle. Ce projet offre le grand avantage de n'avoir affaire qu'avec une seule tribu, chez laquelle on voyageroit en toute sûreté, de n'être sujet à aucun droit de douanes ni même au droit d'entrée qui se paye à l'arrivée à Tombouctou, parce que les marchandises entreroient par la porte du Sahara (Bab-Sahara), ce qui exempte de toute taxe.

On ne peut douter que la civilisation de l'intérieur de l'Afrique ne fût le résultat de ce commerce; celui des esclaves diminueroit graduellement, en même temps que le nouveau négoce prendroit de l'accroissement; mais surtout quelle satisfaction pour le chrétien et pour le philanthrope de voir convertir à la foi et ramener à la civilisation des millions de créatures humaines douées de raison!

 

(1) Jackson, Relation de l'empire de Maroc